Évènement

1° Séance du séminaire « Penser les théories esthétiques du cinéma » 2022 - 2023

Antoine Gaudin, Maître de Conférences en Etudes Cinématographiques & Audiovisuelles à l'Université Paris 3 - Sorbonne nouvelle

16 novembre, à 18h en salle 251 au Centre Saint-Charles

 

Puissance(s) du « phénomène cinéma » : Esthétique et psychologie du cinéma de Jean Mitry (1963-65)

Ouvrage fascinant et foisonnant, mélange d’érudition critique et de radicalité polémiste, fruit de plus de quarante années de réflexions et d’expériences diverses au contact direct du cinéma, Esthétique et psychologie… est sans doute un des livres les plus ambitieux jamais écrits sur le cinéma. La relative méconnaissance dont il souffre aujourd’hui s’explique moins par son contenu (qui reste le plus souvent de grande actualité et utilité) que par l’ombre symbolique que lui ont faite de grandes figures comme André Bazin (du côté de l’approche critique et de la pensée du « réalisme ») ou Christian Metz (du côté de la théorie universitaire et de l’approche du cinéma comme « langage »).

Quels sont les principaux enjeux et apports de ce livre pour la pensée du cinéma, en tant que médium et en tant qu’art ? Une des grandes réussites de Jean Mitry d’avoir rendu concret un croisement, alors largement inédit, entre la théorie esthétique et la psychologie de la perception, deux domaines souvent présentés comme incompatibles. La rencontre conduit ici à une réflexion approfondie sur la situation perceptive et existentielle des spectateurs de cinéma, sur leur « expérience esthétique ». L’investissement passionné de l’auteur dans la compréhension de ce grand « mystère » que reste le cinéma rend la démarche aussi émouvante qu’engageante pour les lecteurs d’Esthétique et psychologie, souvent confrontés à des thèses audacieuses, à un systématisme impressionnant, et à des points de vue originaux sur les films et leurs créateurs.

Quels sont les moyens du cinéma ? En quoi s’apparente-t-il aux autres arts, en quoi leur est-il différent ? Pour répondre à cette question fondamentale, au-delà des « théories élaborées en chambre » qu’il fustige, Mitry plaide pour une ontologie esthétique incarnée, en lien direct avec la réalité de la fabrication des films. De tous les films, puisque son esthétique générale se veut la première véritable tentative pour embrasser le cinéma dans toutes ses manifestations possibles (fiction, documentaire, expérimental, etc.), à partir des grands problèmes qu’il pose en tant que moyen d’expression : réalisme/stylisation, expressivité/langage, espace/temps, etc.

Après avoir présenté et discuté les principaux axes de l’ouvrage, je détaillerai de façon plus précise l’apport de Jean Mitry sur la question du rythme cinématographique, en le resituant par rapport à la pensée du rythme des cinéastes-théoriciens des années 1920 (Gance, Dulac, Eisenstein, etc.) et des réalisateurs emblématiques de la « modernité » cinématographique (Welles, Bresson, Tarkovski, etc.). J’essaierai ainsi de montrer en quoi la contribution théorique de Mitry est sur ce point décisive, indispensable aujourd’hui pour toute approche approfondie du « phénomène cinéma ».