La fabrique du détail. À la croisée du cinéma et des arts plastiques 6-8 novembre 2024
En interrogeant l’actualité et la pertinence des propositions de Daniel Arasse pour les images en mouvement contemporaines, ce colloque pluridisciplinaire à la croisée du cinéma et des arts plastiques propose de penser le détail comme fabrique, en considérant une triple posture : celle des artistes, celle du public et celle des analystes. Nous souhaitons ainsi susciter une réflexion sur les questions et les principes méthodologiques que l’étude des détails convoque aujourd’hui.
Colloque international pluridisciplinaire organisé par
Caroline San Martin (MCF cinéma, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne),
Hélène Sirven (MCF esthétique, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne),
Jean-Philippe Trias (MCF cinéma, université Paul Valéry Montpellier 3)
Colloque DETAIL programme WEB_0.pdf
Vous trouverez ici le lien de la présentation du colloque sur France Culture :
En 1992, Daniel Arasse (1944-2003) publie Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture (Flammarion). Le détail se révèle alors comme un objet d’étude infini. Motif discret ou emblème sursignifiant, il se singularise dans le rapport qu’il entretient avec l’œuvre. Considéré pour lui-même, dans un effet de présence voire de jouissance, pointé par la composition du tableau ou isolé par le regard de celui ou celle qui le voit, indice d’interprétation ou clé de lecture symbolique, trace de migrations des formes ou empreinte du processus de création, le détail ne cesse d’être interrogé comme signe multiple et complexe. Tantôt il disloque le parcours réglé du regard, tantôt il révèle la machinerie figurative. Il apparaît par conséquent pour l’historien de l’art comme un écart ou un lieu de résistance, au point, parfois, de faire sortir l’œuvre du régime de la représentation, questionnant l’histoire et la théorie des images.
Le détail est avant tout le lieu d’une expérience où se rejoignent création et réception. Fabriqué autant par le producteur ou la productrice de l’œuvre – il est redevable de son regard et de son action – que par les spectatrices et spectateurs – ancrant dans leurs imaginaires des éléments devenus emblèmes des œuvres quand bien même le souvenir de celles-ci s’estomperait – le détail n’a de cesse de faire vaciller les catégories établies. Ainsi, fait-il également chavirer les présupposés et invite les chercheurs et chercheuses à reconsidérer l’analyse et la possibilité même d’une histoire des formes.
Programmé à l’automne 2024, ce colloque pluridisciplinaire à la croisée du cinéma et des arts plastiques propose de penser le détail comme fabrique, en considérant une triple posture : celle des artistes (la genèse de l’œuvre peut s’organiser à partir d’un détail, certains détails peuvent avoir été créés pour ne pas être vus[1]), celle des spectateurs et spectatrices (les détails sont choisis ou construits par celles et ceux qui regardent[2]) et celle des analystes (nombre de méthodes reposent sur l’étude du détail : herméneutique, iconologie, sémiologie de l’image, micro-histoire, critique génétique, et, pour le cinéma, analyses textuelle, figurative ou figurale).
Nous souhaitons donc réfléchir à notre tour aux principes méthodologiques que l’étude des détails convoque et aux questions qu’elle soulève. Comment mobilisons-nous cette notion aujourd’hui ? Quels sont les enjeux du détail dans les arts de l’image en mouvement et dans leur analyse ? Qu’en est-il de l’usage du détail dans les pratiques artistiques depuis la modernité ? Bref, comment penser la reprise de cette notion aujourd’hui dans nos pratiques de création, de réception, de théorisation ?
À travers ces interrogations, nous nous essayons à un triple saut. Le premier est temporel et, par incidence ici, disciplinaire et médiatique. Les réflexions d’Arasse se focalisent sur des périodes qui précèdent la modernité, et a fortiori qui concernent des images fixes et la question de l’imitation. Nous aimerions que ce colloque permette d’expérimenter la notion de « détail » dans des créations plus contemporaines, inscrites dans une logique temporelle qui distribue d’autres rapports au tout. Le second saut est transversal. Le livre d’Arasse est ponctué de références à des peintres qui ont commenté leur propre travail. Nous souhaitons également accorder une place importante à la théorie et à l’histoire faites par les artistes et les cinéastes, et ainsi reprendre, dans la fabrique du détail, l’importance du dialogue entre pratique et théorie, création et recherche. Le troisième saut est latéral, puisque nous tenterons de découvrir, en questionnant le détail au-delà d’Arasse et de l’histoire de l’art, des pratiques autres capables d’éclairer recherche et création dans les arts de l’image en mouvement, jusqu’au numérique et à l’IA.
Pour interroger l’actualité d’une telle pensée nous proposons quatre entrées possibles :
- Le détail comme production. Il s’agit d’interroger la fabrique du détail dans sa matérialité même, dans le cours de la conception des œuvres, mais aussi dans leurs analyses et leurs réceptions. Que pourrions-nous dire de ces détails qui déclenchent les imaginaires, que ce soient ceux des artistes au moment de créer, ou ceux des analystes et du public ?
- Le détail comme lieu d’interrogation de nos connaissances. Le détail, à travers sa façon de questionner le voir par la pratique créative ou analytique, n’a de cesse d’interroger notre rapport au savoir[3]. Quelles énigmes les détails nous proposent-ils ? Quels apprentissages la sensibilité aux détails pourrait-elle nous apporter ? Quelles postures de pensée déterminantes les détails nous permettent-ils d’adopter ? Comment interrogent-ils la pratique et les connaissances de celles ou ceux qui créent ?
- Le détail comme méthode pour l’analyse des œuvres. Que pouvons-nous dire de ces pratiques et techniques qui extraient, détourent, ralentissent, accélèrent des éléments du flux continu des œuvres pour mieux les observer, de plus près, plus longtemps ? Comment rendre compte des œuvres par leurs détails : comment les raconter, comment les citer ?
- Le détail comme lieu théorique de dialogue entre le cinéma et les arts plastiques. Quels sont les chemins de traverse que le détail nous permet d’emprunter ? Ne nous aiderait-il pas, avec ses forces propres, à échapper à la norme, à ces catégories qui « ont comme l’air d’avoir été faites de loin[4]» ? Comment ce changement d’échelle s’incarne-t-il dans nos pratiques de création, de réception et de théorisation ? Comment mobilisons-nous ce regard posé de près que préconise Daniel Arasse à la suite de Paul Klee[5] ? La dimension politique des œuvres ne résiderait-elle pas aussi finalement dans les résistances qu’imposent les détails ?
[1] Daniel Arasse, Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, Flammarion, [1992], coll.
« Champs », 1996, p. 5-17.
[2] Ibid., p. 7.
[3]« Sans cesse, le détail suscite des rapprochements incongrus et presque contradictoires. Il ouvre des chemins de traverse dans les catégories de l’histoire de la peinture et décourage toute velléité d’un savoir complet ». Daniel Arasse, op. cit., p. 17
[4] Ibid., p. 6.
[5] Ibid., p. 7.
Comité scientifique
Miguel Almiron, PR arts plastiques, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Emmanuelle André, PR cinéma, université Paris Cité
Serge Cardinal, PR cinéma, université de Montréal
Claire Chatelet, MCF cinéma, université Paul Valéry Montpellier 3
Térésa Faucon, MCF HDR cinéma, université Sorbonne Nouvelle
Anna Guillo, PR arts plastiques, Aix Marseille université
Jacinto Lageira, PR esthétique, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Mathias Lavin, PR cinéma, université de Poitiers
Loig Le Bihan, PR cinéma, université Paul Valéry Montpellier 3
José Moure, PR cinéma, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Thierry Serdane, MCF arts plastiques, université Paul Valéry Montpellier 3
Dick Tomasovic, PR esthétique, université de Liège
Barbara Turquier, responsable de la recherche, Fémis
Gwenola Wagon, PR arts plastiques, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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